- N'hésitez pas à choisir la place qui vous va bien. Je reviens avec du thé...
La jeune femme semble hésiter un instant, comme si mon invitation suspendait un mouvement.
Elle me regarde, hésite encore, puis pose son manteau et s'installe dans le fauteuil près de la fenêtre :
- Instinctivement, ma place est plutôt là !
Angéla est coach et j'ai envie de faire écho à son premier mot : "Instinctivement" ; veut-elle parler ici de son intuition ?
Mais je décide de m'occuper aussi de mon confort : j'ai découvert un thé rare à partager !
Angéla a créé son cabinet dans une grande métropole ; son activité pour des états majors et des managers, dans la finance et l'industrie, est en croissance continue.
Nous nous sommes rencontrés il y a un mois ; elle recherchait un lieu de supervision et hésitait entre le groupe et l'individuel.
Je reviens avec ce thé vert étonnant et je sers Angéla ; elle semble attendre un mot, une invitation à parler... Après un silence :
- Je ne sais pas trop comment commencer cette première séance ?
- Nous avons déjà commencé.
- Oui et ça me stresse un peu !
- Qu'est-ce qui serait confortable pour vous ? Ou plus inconfortable ?
- C'est moins stressant que la supervision en groupe, pour moi. Mais je ne sais pas trop quelle demande travailler...
Depuis peu, plusieurs coachs se disent gênés par mon cadre de supervision : j'invite chacun à venir avec une problématique, une demande... Je prends conscience ici que j'évite alors de travailler avec la relation qui se crée et ce qui émerge.
Angéla m'ouvre cette voie :
- Il y a le thème qui a surgi juste avant : l'instinct ! J'aimerais l'utiliser dans mes séances.
- Vous l'avez utilisé pour prendre votre place...
- J'aimerais en faire une ressource.
- Qu'est-ce qui vous freine ici ?
- Ici, je ne sais pas... Mais, pendant mes séances, ce sont les outils appris dans les écoles de coaching. Comme si ces modèles, trop scolaires et que j'ai maintenant bien acquis, m'inhibaient.
- L'école nous apprend l'essentiel ; c'est ensuite à chaque coach de travailler sa singularité...
- C'est sans doute mon côté enfant soumis et rebelle qui parle ici !
- C'est aussi le modèle d'une école (*). Si je laisse parler mon instinct, j'ai une toute autre image.
- Dites moi.
Notre côté "animal" ?
- C'est très personnel : l'instinct m'évoque notre côté animal...
Angéla semble vivement intéressée et attendre une suite :
- Alors, je me demande comment vous utilisez ce côté-là ou comment vous l'inhibez ?
Angéla a un mouvement de recul :
- Ne me proposez surtout pas une expérience de Gestalt. J'ai déjà essayé et c'était vraiment inutile et grotesque !
- Angéla, je n'ai pas d'outils ici : je cherche avec vous...
- C'est peut-être ça l'instinct ?
Je réalise ici qu'il n'y a rien à "chercher" : tout est là, dans notre relation ! Je me "branche" sur cette partie qu'Angéla nomme mais ne s'ose pas encore utiliser. J'ai envie de poursuivre dans la voie ouverte, en faisant un détour :
- Pourriez-vous me parler d'un client qui limite votre instinct, votre intuition...
- Je pense plutôt à la situation inverse : c'est un dirigeant qui reste en retrait face à son associée, une femme. Nos séances ne semblent avoir aucun effet sur lui !
- Et quel effet sur vous ?
- Ça m'agace. J'enrage... J'ai peur d'être mise en échec !
- Vous faites peut-être avec lui ce qu'il fait avec son associée ?
Long silence. Angéla semble interpellée puis :
- Je ne comprends pas ?
- Vous dites que vous retenez votre agacement, votre rage, votre peur. Vous contenez peut-être ici de multiples facettes de votre instinct ?
- Je n'avais pas vu ça comme ça !
Cette formule d'Angéla m'amuse et m'apporte un autre regard sur la "super-vision" : ces séances pourraient s'appeler "alter-vision" ou "regards croisés" pour un "métier impossible" !
A retenir :
« C'est en jouant, et seulement en jouant, que l'individu, enfant ou adulte, est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité tout entière. C'est seulement en étant créatif que l'individu découvre le soi. » Jeu et réalité, D. W. WINNICOTT.
« La formation du thérapeute lui permet d'apprendre ce qu'il ne doit pas faire. Avec la supervision, le plus souvent il touche du doigt ce qu'il peut faire, et dans de rares cas ce qu'il doit faire. » Supervision en thérapie systémique, Jacques-Antoine MALAREWICZ.