03
OCT 18

Les prénoms épicènes

L'année dernière le roman d'Amélie, Frappe-toi le cœur, parlait du mal de mère, enfin de l'une des formes particulières de ce mal : la jalousie. La jalousie entre mère et fille, et puis au fil du temps, au fil de la vie, la jalousie entre femmes, sœurs, amies, profs… 

Et moi, je me demandais où étaient les hommes dans tout ça ? En particulier le père parce qu'il apporte du tiers, de l'étranger, du jeu dans le duo mère-enfant. Mais, là, les hommes semblaient rayés de la carte. Ou bien ils comptaient les points et regardaient le plafond. Tout à côté des mères. Et donc, cette année, c'est un peu sur ce fil-là le nouveau millésime d'Amélie : Les prénoms épicènes.

Oui, c'est sur la haine des hommes. Dans un sens et dans l'autre, la haine entre père et fille, et entre hommes et femmes derrière la romance. Et c'est comme un thriller psychologique toujours.

Extraits :

« Tout le monde était d'accord pour affirmer l'importance du père. Samia disait à son amie que son père était le seul homme qu'elle aimait parce qu'il était infiniment supérieur aux autres. Maman évoquer souvent son père avec tristesse expliquant à sa fille combien elle regrettait quelle n'est pas encore rencontré un homme si prodigieux. Épicène écoutait ces considérations avec perplexité se gardant de juger mais constatant que pour sa part, elle n'éprouvait même pas de déception vis-à-vis de son père. « De lui, je n'attends rien » concluait-elle. » 

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Les bourgeoises, tu les reconnais facilement : elles portent un serre-tête, des vêtements moches et chers et elles empêchent leurs voisins de copier sur elles.

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En guise de réponse, un grand froid s'empara d'elle. Il existe un poisson nommé coelacanthe qui a le pouvoir de s'éteindre pendant des années si son biotope devient trop hostile: il se laisse gagner par la mort en attendant les conditions de sa résurrection. Sans le savoir, Epicène recourut au stratagème du coelacanthe.

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Soudain, Épicène vit apparaître son père devant elle. Il la regarda avec tant de contrariété qu’elle eut du mal à ne pas s’étrangler avec sa bouchée de BN. Sentant que sa présence dérangeait, elle fila dans sa chambre dont elle ferma la porte. Elle s’assit sur le lit et dans sa tête, elle entendit la voix intérieure dire :
– Je n’aime pas papa.
Le savoir était une chose, le formuler changeait la donne. Malgré le calme et l’absence d’étonnement, les mots produisaient un effet considérable. La révélation accédait à une réalité supérieure, elle devenait un monument de l’esprit. « Je n’aime pas papa. » Même le son grotesque – papapa – déterminait l’énormité du constat.

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Les prénoms épicènes - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel - Août 2018