Les GAPs ou "Groupes d'Analyse de Pratiques" sont une belle source d'innovation pour notre métier de coach et pour nos clients.
Pour le coach, c'est une source de renouvellement en continu : cocktail de coaching individuel, de supervision et de coaching en groupe, la formule bouleverse les frontières entre ces domaines, chahute le praticien et son "cadre de référence", mobilise sa capacité de co-créer avec un groupe…
C'est aussi une source d'innovation pour nos clients, dirigeants ou managers, qui cherchent d'autres formes de développement : au-delà des formes connues (formation, conseil, échange de "bonnes pratiques"), le GAPs est "simplement" un espace ressource qui permet de ralentir un instant, sortir de l'illusion de perfection, retrouver du sens en groupe de pairs…
J'accompagne aussi des médecins avec cette démarche et sur un champ bien complexe : les plaintes des familles de patients âgés… Plaintes contre le corps médical après un décès, conflits avec l'institution face à l'inéluctable : la vieillesse, la finitude…
Des situations toujours délicates, douloureuses, qui peuvent aussi susciter un nouveau regard, de nouveaux apprentissages...
C'était au printemps 2006 : l'équipe de direction avait une intuition, un enjeu, une question : "Comment transformer les conflits en sources d'apprentissage… "
J'ai alors proposé et animé trois après midi avec les "binômes médecin et cadre de santé".
Un an après, la démarche a des effets étonnants ; nous avons envie de la partager dans une revue spécialisée.
Voici en primeur l'interview d'un binôme.
Anticiper les plaintes des familles de patients âgés et transformer les conflits en sources d'apprentissage…
Les Magnolias - Projet d'article pour Gestions Hospitalières
Regards croisés des médecins et des cadres de santé
Catherine FABRE et Jeanne-Françoise COPPOLA
Le binôme "Médecin - Cadre de santé" est au cœur du fonctionnement des Magnolias : travailler en duo c'est multiplier les regards et les questions sur chaque plainte ; c'est croiser ce que chacun sait ou ne sait pas encore sur un patient âgé et sa famille ; c'est aussi créer des passerelles entre deux "familles" professionnelles et générer ainsi de nouveaux savoir-faire avec les familles…
Et c'est en binôme que le Docteur Fabre et Jeanne-Françoise Coppola ont souhaité partager leur expérience, plus d'un an après les séances d'analyse de pratiques.
A. de Châteauvieux : Qu'est-ce qui a changé depuis les séances de l'été 2006 ?
C. Fabre : Je voudrais d'abord souligner combien cette démarche suscite aussi un besoin chez les infirmières : elles sont en première ligne, au contact de chaque famille et elles n'ont pas toujours les moyens d'analyser ce qui se joue quand le parent d'un malade les questionne, les confronte.
J-F Coppola : Car nos séances nous ont permis d'améliorer notre relation avec les familles et aussi entre nous. Ainsi, j'ai moins d'appréhension face à une rencontre ; et si cette appréhension survient, je sais que nous sommes deux pour échanger et partager.
Nous avons aussi appris à questionner et comprendre la demande implicite derrière l'émotion et, parfois aussi la violence de certaines rencontres. Ce matin, par exemple, une femme est arrivée de l'hôpital Beckler accompagnée par son fils : il bouillait ! Il questionnait l'infirmière ; il voulait savoir si un médecin verrait rapidement sa mère...
AdeC : Comme une escalade relationnelle ?
J-F Coppola : Oui, avec de l'agressivité d'un côté et de l'incompréhension chez l'infirmière. Alors, j'ai pris le temps de questionner et j'ai compris que le fils voulait vérifier la compétence des Magnolias. Et derrière cette demande, il y avait une peur : il redoutait la maison de retraite pour sa mère !
C. Fabre : Un jeu à trois s'installe ici : le patient et sa famille, le binôme médecin - cadre soignant et les infirmières. Alors, le risque de "triangulation", comme vous l'appelez, est fort : l'infirmière prise "en sandwich" entre le médecin et la famille et parfois comme bouc émissaire. Nos avancées dans la relation avec les familles montrent que les infirmières sont aujourd'hui le maillon clé et sensible de notre chaîne professionnelle.
Nous sommes plus sensibles aussi à notre responsabilité dans l'information que nous apportons à chaque famille, à la nécessité de passer le relais dans des situations sensibles et de tracer l'information. Hier, par exemple, un médecin a demandé le changement de chambre d'un patient, sans expliquer pourquoi à sa famille. J'ai été prise à parti et j'ai désamorcé ici le risque d'une autre escalade en reconnaissant le manque d'information, mais sans disqualifier mon confrère.
AdeC : Autant de nouvelles pratiques que nous n'avons pourtant pas travaillé en séance ?
J-F Coppola : C'est simplement un changement de regard : nous regardons autrement les familles et alors notre relation avec chacune d'elle change. Une clé est d'éviter la disqualification, de part et d'autre. J'ai aussi senti que nous pouvions travailler dans la confiance et ici aussi sans jugement, en cohésion avec les médecins, autour de chaque problématique.
C. Fabre : Chaque famille a ses peurs face à la vieillesse et la mort, et aussi "ses plâtres à essuyer", par exemple autour des questions toujours épineuses d'argent et de succession. Et nous ne sommes pas là pour juger ou essuyer ces plâtres, ni pour prendre en charge…
J-F Coppola : Nous apprenons aussi à décoder les liens plus informels à l'intérieur de chaque famille pour éviter d'être l'instrument d'un jeu qui leur appartient autour d'histoires douloureuses, non résolues... Nous avons aussi notre propre histoire ; l'enjeu est ici de ne pas "projeter" cette histoire personelle sur ces familles.
AdeC : Avec le recul, quelle est pour vous la singularité des groupes d'analyse de pratiques ?
J-F Coppola : L'ouverture ! L'absence de cadre rigide ! Nous sommes en effet dans l'humain ici, et pas dans le scientifique. Un formateur aurait sans doute voulu nous transmettre des contenus précis dans un carré fermé.
C. Fabre : La permission d'aborder entre nous des situations difficiles. Nous avons pu échanger librement et sans jugement. Le médecin a ses réponses et les infirmières d'autres informations, d'autres points de vue. Nous savons échanger nos balles, travailler plus en confiance entre nous et avec les familles.
AdeC : Et pour conclure : qu'est-ce qui vous a fait le plus avancer ?
J-F Coppola : Nous avons découvert que nous sommes compétentes, comme les familles ! J'arrive plus souvent et plus facilement par exemple gérer ma peur face à la violence verbale, ou devant un homme menaçant emporté par sa colère. Je sais ne pas fuir car j'ai compris que son agressivité parle de sa peur.
C. Fabre : La capacité de faire des connexions, d'abord entre nous et aussi avec la famille et le patient. Relier les bribes d'information, les traces que chacun de nous détient, croiser les points de vue sans jugement...
Novembre 2007
En savoir plus sur la démarche :
Innover en gériatrie : Evelyne Gaussens, Directrice Générale de l'HPGM
Le cocktail GAPs : partir du réel, partager les récits et le vécu sur chaque plainte et apporter des éclairages au fil de l'eau : 1ère séance