Je pourrais lancer le magnéto juste avant d'entrer, j'ai imaginé. Ou bien discrètement, quand je m'allonge ?!
C'est l'idée qui m'est venue l'autre matin, au réveil. Enregistrer ce que je raconte sur le divan et, après ça, en prélever un échantillon. Parce que depuis la fin de l'été, je n'ai plus trop de farces et attrapes, plus de « nouvelles de l'inconscient » à raconter. Ces histoires du quotidien à double sens. Oui, quand ce qui nous semble anodin, mais qui soudain nous accroche, en dit long sur nos tiraillements intimes, nos fixations, nos impasses préférées. Comme si je ne captais plus cette fréquence-là hélas.
J'en avais fait une newsletter ici, et sur LinkedIn, et alors elle semble tomber en désuétude. Le dernier numéro c'était à la fin des vacances. « Entre deux lampées ». Une enquête sur les origines du goût, sur mon besoin incontrôlable d'un peu de café avant midi.
Et pourtant je rêve toujours beaucoup, je fais encore pas mal de lapsus, de sorties de route et de faux pas, sauf que c'est sans relief je trouve. Sans vraiment de saveur. Peut-être que quelque chose s'est déréglé.
Il faut dire que l'été était meurtrier. Oui, ma sœur aînée et ma mère sont mortes. Enfin ce n'était pas des meurtres, c'était dans l'ordre des choses. Même si pour ma mère, à un moment donné, la gendarmerie a eu un doute. Et moi qui aime tant les enquêtes, là, j'ai dû rassurer le brigadier pour éviter l'autopsie.
Et après ça, à la rentrée, c'était le tour d'une thérapeute qui m'avait accompagnée pendant plusieurs années. C'était en petit groupe, elle aussi écrivait sur l'inconscient. Et, ces derniers temps, elle faisait des podcasts sur des questions du quotidien : l'adversité, le masochisme, l'agitation...
Bref. Moi, face à tout ça, je vois bien que je me lance dans plein de chantiers. Avec mes frères. Nettoyer la maison de nos parents, vider les granges, entretenir le parc, passer des annonces pour des meubles, pour le bois de chauffage, lancer les diagnostics termites, énergie, etc..*. C'est très opérationnel et nécessaire, mais c'est comme si je faisais diversion. Une forme de défense peut-être, pour ne pas trop ressentir ce que je ressens.
En même temps, tout ce « travail du vide », aux prises avec le réel, très physique, est intimement bouleversant.
– Tu es bien plus expressif la nuit ! me dit Eva.
Dans mes rêves visiblement. Sans doute que je crie et que je tape, je grogne ou je pleure, et tout à la fois je « symbolise ». Oui, j'ajoute des images, je tricote un scénario, j'en fais toute une histoire... Et même si tout ça semble loufoque, toujours crypté, c'est ça que j'aimerais retrouver au fil du jour aussi. Une forme de vie à double sens, à double fond.
Peut-être que ma psy ne s'apercevrait de rien ?! J'ai essayé de me représenter les choses avec le magnéto sur le divan, pour savoir si c'était faisable. Mais aussitôt c'est tout le contraire qui m'est venu. Ça sonnerait faux sans doute, je finirais par lâcher le morceau. Et puis, on ne peut pas mettre l'inconscient sur écoute. Il se dérobe illico. Et on continue alors de s'empapaouter soi-même.
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La photo, là, c'est l'une des cages de fer que mon père construisait aux quatre coins du jardin, aux Acacias, la maison de mes parents. C'était pour les oiseaux. Avec mon frère, on s'est bien demandé ce qu'on allait en faire pour la suite...