J'ai un cousin germain qui est aumônier militaire – jésuite, je crois – et un autre, qui est évangéliste. L'un côté père, l'autre côté mère. Quand je les rencontre, chacun me parle de sa foi, de son cheminement très personnel, spirituel et de sa vocation, plutôt tardive, comme une conversion alors.
Pour moi, c'est compliqué à chaque fois, parce que je les écoute certes, mais je ne leur ai rien demandé. Bien au contraire. Et tout ça souligne à gros traits, je trouve, nos tentatives pour trouver des réponses à nos angoisses existentielles face à la cruauté du réel, à l'absurde, la bêtise, l'immaîtrisable, notre mort certaine mais inconnue...
Alors qu'il n'y pas de réponse toute faite, ni a priori ni à l'extérieur. Ça m'est compliqué aussi, parce que j'ai la peur sourde que l'un ou l'autre, à travers ses témoignages, cherche à tester je ne sais quoi et même me convertir.
Surtout l'évangéliste qui évangélise justement. Il m'ajoute à ses prières dit-il, et il m'adresse des paroles d'Évangile via WhatsApp. Il faut dire que j'ai ajouté ici, dans ma mini bio, une sorte d'accroche : « Freud aussi aurait adoré WhatsApp ». Et sur d'autres réseaux : « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve... » (Instagram). « Le travail de l'inconscient est plus vivant que notre monde obsédé par le bien ordonné et l'infaillible » (LinkedIn). Et tout ça peut aussi exciter les gens, leur donner l'envie de me prouver le contraire.
Bref. J'ai voulu mener l'enquête sur cette peur bizarre que quelqu'un me retourne le cerveau comme on dit. Comme si je doutais de mes « frontières psychiques » avec la crainte d'une forme d'effraction. Ce travail-là a pris des chemins bien cahoteux.
En Vélib', rue de Bourgogne. C'est là qu'une chose m'a sautée aux yeux, du côté de mon père. Oui, il a vécu bien des démêlés avec ces questions de vocation. Comme il fallait un prêtre dans les familles aristocratiques et qu'il était le benjamin, c'est tombé sur lui. Formation au séminaire, ordination, promesse de vivre dans la chasteté, l'obéissance à l'ordre religieux, dans le détachement matériel, etc. Je n'ai jamais su s'il avait officié tellement il était silencieux avec tout ça. Mais à un moment donné, pour vivre sa vie d'homme – avec ses élans, ses passions –, il a dû se convertir complètement « à rebours » en quelque sorte. Je n'y étais pas bien sûr, mais ce n'était pas une partie de plaisir visiblement. Avec pas mal de rififi du côté du Vatican. Alors peut-être que je m'identifie à lui, sur cette frontière entre forçage et vocation, ordres et désordre... Avec le fantasme d'être rattrapé par je ne sais quelle patrouille. Les jésuites, les évangélistes, les Franc-maçons aussi qui, je me rappelle soudain, m'avaient proposé de rejoindre une Loge.
En solo, dans ma Twingo. Mais sans dictaphone, cette fois-ci. Je n'ai pas creusé plus loin la piste de l'identification à mon père parce qu'il y a eu comme un coq à l'âne dans ma tête. Oui, deux trains de pensée parallèles qui se sont soudain croisés. J'ai pensé à tout mon travail avec mon contrôleur. Peut-être parce que lui n'a rien de prosélyte justement. C'est toujours très clinique et sans référence à une école de pensée particulière. Et donc, en ce moment, je décortique avec lui, le pourquoi du comment je prends la parole, des fois, face à certains patients. De moins en moins certes, mais encore trop souvent à mon goût. Il faut dire que beaucoup cherchent sans relâche des réponses à des questions qui les taraudent depuis longtemps ; dans leurs amours, leur couple, leur sexualité, leur travail, leurs rêves, etc. Parfois ils se morfondent tellement qu'ils imaginent que j'ai des réponses. C'est la dynamique des jeux de transfert bien sûr, mais quand l'angoisse est trop forte – et peut-être est-ce plutôt mon angoisse face à la leur ici – je finis par craquer. Je suggère une piste a priori inexplorée, j'évoque une boussole clinique, je souligne un lien entre une manière particulière de se prendre le mur aujourd'hui et leurs antécédents familiaux... Mais pire parfois, il m'arrive de « témoigner » un instant. C'est quand je crois saisir un écho avec un fragment de ma vie. Bien sûr, je maquille ce morceau d'histoire pour ne pas parler de moi. Je reste évasif, je bricole sur le vif un personnage anonyme.
Tout ça peut sembler ténu mais ces sortes d'effraction dans la vie des autres m'agitent beaucoup après coup.
Bref. C'est le mot témoignage ici, qui m'a mis la puce à l'oreille. C'est comme si, dans ces instants-là, je prenais parole pour inviter l'autre à penser un peu « comme moi » ! Une forme sournoise de prosélytisme. Je fais alors à l'autre ce que je redoute pour moi.
Chez Bricoman, rayon Extincteurs à poudre. Et puis, je me suis demandé qui m'a fait ça peut-être. Qui m'a plus ou moins « retourné le cerveau » ? Cette manière de dire, familière, argotique – qui n'a rien d'aristocratique donc –, est souvent pour moi la marque d'une piste inexplorée. Soudain j'ai pensé au monde de ma mère. Et c'est évident, le maternel est notre première « idéologie » en quelque sorte. Par nature et par nécessité. Oui, c'est du discours de la mère que l'on s'éprend, de sa langue, de ses pensées, de ses humeurs et bien davantage. Ça nous imprègne, corps et âme. Au début, c'est sans doute un délice mais ça finit par devenir un tourment. Et c'est compliqué de s'en déprendre.
***
En photo. C'était l'été, après un tour chez Zara. J'ai aimé choisir ça, un polo en coton. C'est tout doux et c'est comme un linge d'église, je me suis dit, après-coup.