Initiée, entraînée dans les meilleures écoles, psychanalysée aussi, elle voudrait maintenant vivre de sa passion. Vivre de l'art d'accompagner. Alors elle prend le temps de la rencontre. Le temps de rencontrer ceux qui, ici ou là, la remarquent et la découvre. Tous ceux qui aimeraient être accompagnés par elle. Peut-être.
- Et c'est alors qu'ils tombent en amour avec moi, m'annonce-t-elle.
- Et vous-même alors, Amandine ?
Sourire gêné sur ses lèvres de velours. Vague à l'âme dans ses yeux clairs. Sa robe de soie a la couleur de sa peau. C'est une première rencontre aussi. Elle recherche un superviseur.
- Je crois que chacun d'eux, à sa manière, me trouble, répond-elle.
- C'est parfois l'élan amoureux qui porte un client vers nous. Ou bien le désir de tendresse. Une part manquante en lui.
- Et que faire avec ça ?
- Il y a aussi en nous quelque chose qui éveille ce mouvement. Et cette part de nous se mêle à l'élan de l'autre.
- Et que faire avec ça ? répète-t-elle.
- Qu'est-ce que ça fait avec vous ?
- Pour l'instant, ça m'empêche d'avoir des clients !
Toujours la mélancolie dans ses yeux. Elle semble partir pour un long voyage intérieur. Et puis, plus tard, ces mots comme le début d'un conte :
- C'est comme une malédiction. Ma grand-mère était joaillière chez un maître artisan renommé. Elle était passionnée et connue. Très belle aussi. Lorsqu'un jeune fiancé venait choisir son alliance, il tombait amoureux d'elle. À la folie. Il en oubliait sa promise et son mariage. Les scandales ont fait rage. Alors le diamantaire l'a invitée à partir. Et elle a renoncé à son art.
Long silence. Des larmes sur sa joue.
- Et quel lien faites-vous avec votre histoire ?
- Elle s'appelait aussi Amandine. Et Amandus en latin signifie « Choisi pour l'amour ».
Et elle reprend le fil de l'histoire :
- Ma mère était kiné. Ses patients étaient amoureux d'elle, souvent. Elle aussi parfois. Mais, pour sublimer le désir, elle en faisait son sujet de recherche, de publication. Et puis, un jour, elle a craqué ! Je suis née. Elle a aussi renoncé à son métier.
Cette femme me touche et me trouble. J'ai envie d'en savoir plus sur elle, sur son histoire à elle. Mais je choisi de rester là, juste là, avec ce qui est là pour elle :
- Ça vous fait quoi de me confier ça à moi ?
- Ça me touche et me trouble.
- C'est peut-être aussi ce qui se passe pour vos clients, la première fois, avec vous.
- Oui, c'est exactement ça ! Ils me confient leur histoire et ça les trouble.
- C'est aussi ce qui pourrait se passer la fois suivante. Et à chaque fois. Mais vous ne pouvez pas encore le savoir.
Ses lèvres de velours dessinent un « Oh ! » silencieux. Je poursuis :
- Nommer ça « une malédiction » c'est tisser un lien avec le passé. Un passé qui n'existe pas pour vos clients.
La rencontre s'est arrêtée là. Enfin, presque là. Elle m'a demandé le prix des séances et là, sur le pas de la porte, elle a évoqué une autre histoire en héritage. La difficulté de « faire commerce » d'un lien qui se tisse dans le désir d'amour ou de tendresse.
Je ne sais pas si elle reviendra.