Ils arrivent souvent essoufflés sur la dernière des marches qui mènent jusqu'ici, à fleur de nuages. Et elle, danseuse étoile gracieuse, c'est au moment de clore la séance qu'elle lâche :
- Je me sens épuisée !
Et je prends conscience à cet instant de ce qui m'a animé en sa présence :
- Oui aujourd'hui, avec vous, s'est éveillée cette part de moi qui aime jouer et créer !
Passer devant un jury de référencement est une épreuve parfois anxiogène pour les coachs d'entreprise.
Il y a dans ce rituel-là quelque chose de régressif qui peut réveiller des mémoires anciennes : un examen, un grand oral…
Parfois, c'est aussi le souvenir d'un passage à tabac, un soir au poste, qu'il s'agit d'oublier.
Elle dormait encore quand je l'ai appelée.
Oups ! Je me douche et j'arrive. Désolée ;-( m'a-t-elle écrit à travers les ondes l'instant d'après.
Et la voici déjà - elle habite à quelques pas d'ici - tout de noir vêtue. Gracieuse comme une danseuse étoile.
Et maintenant elle savoure, une par une, les chouquettes encore tièdes que j'ai aimé acheter ce matin. C'était une envie, soudaine et inédite, d'ajouter des gourmandises aux rencontres du jour. Elle me demande un autre café. Une grande tasse de ce café italien.
Initiée, entraînée dans les meilleures écoles, psychanalysée aussi, elle voudrait maintenant vivre de sa passion. Vivre de l'art d'accompagner. Alors elle prend le temps de la rencontre. Le temps de rencontrer ceux qui, ici ou là, la remarquent et la découvre. Tous ceux qui aimeraient être accompagnés par elle. Peut-être.
- Et c'est alors qu'ils tombent en amour avec moi, m'annonce-t-elle.
- Et vous-même alors, Amandine ?
Sourire gêné sur ses lèvres de velours. Vague à l'âme dans ses yeux clairs. Sa robe de soie a la couleur de sa peau. C'est une première rencontre aussi. Elle recherche un superviseur.
« La prochaine fois, si c'est possible, j'aimerais être moins proche de vous ? » Elle m'écrit quelques heures à peine après la séance. La première. Je me rappelle son hésitation avant de choisir sa place. Elle semblait chercher celle que je prendrais. Puis elle s'est coincée tout contre le mur. Et je suis resté là, de l'autre côté de la table. Proche et loin à la fois. Miroir intime, sensible. À fleur de mots.
Je lui offre une tasse de café. Ses yeux sont posés sur moi. L'air du matin est tendre autour de nous. Elle hésite. A-t-elle oublié quelque chose ? Elle ouvre son cahier à spirales, relit ses notes à l'encre bleue. Puis elle énonce, une à une, comme un devoir, les situations qu'elle apporte aujourd'hui. Silence troublé.
Elles se battent en se portant des coups bas. Dans les couloirs ou les bureaux. Combat non sanglant, mais cruel et toxique. Juste des regards et des mots.
Elle en parle à chaque séance, enragée et dépitée. Rictus au coin de ses lèvres. Grimace qui chahute son visage. Elle voudrait comprendre ce qui l'agite ainsi.
La première fois, j'ai suggéré que cette femme, sa collaboratrice, était peut-être une ombre, un reflet de ce qu'elle rejette au fond d'elle. Part intime, méconnue ou cachée ?
C'est elle qui maintenant aime m'initier à des jeux inédits. Elle, c'est la femme au ruban dans les cheveux qui, de séance en séance, a perdu le goût des rapports de force.
Son besoin de jouer surgit au moment de clore. Comme si la cloche avait soudain sonné et qu'elle me tirait par la manche dans la cour de récréation. « Je vous invite à choisir un objet personnel, me dit-elle. Un objet vraiment précieux pour vous. »
Supervision en groupe de pairs. Morgane, une jeune coach, veut travailler sur le « pouvoir étrange » que lui donne son intuition : « C'est comme si j'avais la perception intime des maux de mes clients, des blessures de l'âme et de leurs fragilités » déclare-t-elle.
Intrigué et curieux, je l'accompagne pour comprendre ce qui l'effraie et l'attire ici.
La jeune femme évoque alors son histoire de vie. Souvent cabossée, parfois douloureuse. Puis, chacun dans le groupe partage ses résonances devant cet « étrange pouvoir ».
« Comme vous semblez aimer les impasses ! Toujours coincé dans une voie à une seule issue. Comme dans le ventre maternel !? Je vous superviserais bien sur ce sujet… si vous en aviez la demande. »
Celle qui m'écrit ces lignes n'est pas une sage-femme qui voudrait me sortir de « la matrice ». C'est une coach que j'aime accompagner en supervision.
Il était une fois une jeune femme vulnérable et surdouée. Vulnérable car, pour venir au monde et grandir, elle avait choisi des parents qui avaient posé le sceau du secret sur leur histoire ancienne et leurs blessures. Des blessures de l'âme et du cœur, de l'amour et du rejet.
Le secret fermait l'accès à des racines profondes et des sources vivifiantes où se mêlaient le sang noir des esclaves et le sang bleu des nobles.
Elle était surdouée car les blessures de l'amour donnent aux relations une saveur familière que, dès le premier souffle, les enfants savent deviner. Une saveur douce-amère qu'ils apprennent à goûter sans jamais s'empoisonner. L'enfant en grandissant a voulu prendre soin des maux cachés et des paroles informulées. Elle a tenté de soigner ses parents et sa fratrie. Mais en vain car un enfant ne peut jamais vraiment guérir sa famille.
C'est en allant dans le monde que Marie - c'est son prénom - a découvert un antidote aux maux de l'âme. Mais pas tout de suite !
« J'ai aimé déposer sur ton corps cette huile aux parfums d'orange et d'amande. Tu fermais les yeux sous les caresses. Le soleil aussi te caressait de ses rayons. Tes lèvres frémissaient. »
Il lit de mémoire quelques lignes d'une lettre écrite à cette femme qu'il aime, qu'il aimait. Elle met fin à l'histoire.
Des premières gouttes de pluie frappent les vitres de la fenêtre entrouverte derrière lui. Un peu de fraîcheur nous enveloppe en cette fin de journée d'été.
« J'ai aimé te rencontrer, poursuit-il la voix et les yeux troublés. J'aimais t'écouter me raconter des histoires. J'ai aimé partager ta compagnie dans cette maison loin du bruit du monde. Une maison d'écrivain aux lisières de la forêt. »
La pluie joue comme une musique autour de ses mots et de sa voix. Il est tombé en amour de celle qui avait « la douceur et le charme d'une fée ». De celle qui est devenue « son amie, son amante, son âme sœur ».