À chaque fois, c'est pareil. Le liquide encore brûlant, noir, et la première gorgée, amère, âpre, sur les lèvres, sur la langue.
Ça passe illico dans tout le corps, comme par intraveineuse. Et alors le cœur qui soudain s'affole. Enfin c'est l'inverse, si au bout d'un moment je n'ai pas ça, je m'affole. Juste une ou deux lampées, avant les douze coups de midi. Une addiction, clairement.
– Dites, ça vous est déjà arrivé de faire des coups en douce ?
– ... ?!¿
– Oui, des trucs pas forcément très catholiques, pour arriver à vos fins ?
Cette séquence-là c'était en coaching. Avec une femme qui, depuis un moment déjà, ruminait devant moi, empêtrée dans les jeux de pouvoir de son CODIR et dans ses états d'âme. Pas facile de faire le tri à ce stade ; entre ses conflits à elle et le reste je veux dire. Tout ça se renvoyait, se répondait dans des jeux de miroirs plus ou moins déformants, grossissants.
Ce matin-là j'avais mis le réveil, alors forcément à un moment donné, ça a sonné. À partir de là, j'ai aimé t'enlacer, te sentir dans tes courbes, te caresser dans les creux. Tout ça sans trop te réveiller visiblement et puis, je n'ai pas pu m'empêcher de te mordre – enfin te mordiller, avec une saveur de l'enfance dans cette manière de faire. Et, quand je suis sorti plus ou moins du lit, tu as voulu me retenir encore un instant.
– Dis, tu veux pas te dédoubler ? tu m'as murmuré, comme si tu étais encore dans un rêve car ces choses-là n'arrivent pas autrement.
L'autre jour, quand je me suis allongé sur le divan, la première chose qui m'est venue c'est que j'aurais bien aimé faire un métier manuel aussi. Quelque chose de très physique, j'ai dit.
Il faut dire que juste avant d'arriver, au ras des pavés, j'avais aperçu deux ou trois ouvriers dans une tranchée pour le chauffage urbain. Il étaient aux prises avec des tuyaux et des barres de ferraille, des chaînes et du béton. C'était fugace, mais c'est comme certains rêves : on les efface au réveil et, dans la journée, on trébuche sur une scène de rue, un objet inanimé ou un regard, et par ricochet, une image de ce rêve-là ressurgit soudain. Et avec ça, tout un monde en soi. Ça reste crypté mais ça ouvre une brèche vers l'inconscient.
– Un métier de gros œuvre, j'ai précisé pour ma psy.
– Comme ici, elle m'a lancé du tac au tac.
C'est vraiment jouissif, à chaque fois, ce moment-là. Oui, bourrer la Twingo de tous les pots cassés, des casseroles, du parasol qui soudain avait volé dans la mare, avec le tapis rouge, le vieux sèche-cheveux, les trucs tordus ou complètement foutus, toutes les bricoles accumulées les mois passés, empilées au fond de l'appentis. Et puis partir à la déchetterie sans rien voir du chemin derrière soi. Et balancer tout ça dans les bennes en ferraille toutes cabossées, rouillées.
C'est bizarre, il n'y a que des hommes dans ce lieu-là. Tatoués, crânes rasés, barbe style hipster. En pick-up ou en fourgon. Ce n'est pas qu'un tour de force à chaque fois, c'est un style de vie aussi.
Il y a des squares à Paris pas vraiment secrets mais juste discrets où, pendant toute une époque, je prenais le temps de rêver – enfin, tout à la fois déjeuner au soleil et regarder plus ou moins les gens. Parce que ça fait des sortes de sursauts d'inconscience. Oui, des jeux d'ombre ou de miroir, des échos, des allers-retours dans le passé ou le futur... Tout ça nous donne des nouvelles de nous-même. Un jour, à la sortie d'un square un peu caché, Google m'a capté et proposé de laisser un avis. Alors pourquoi pas.
Tout d'un coup, vous prenez la porte. Plutôt méchamment... Ou vous vous tordez la cheville...
L'autre jour, c'est votre smartphone qui vous a échappé. L'écran complètement fêlé à présent...
Une autre fois, un, deux? trois essais, vous avez soudain perdu le code secret de votre carte bancaire...
Ce genre de coups manqués vous arrive parfois peut-être. Enfin, pas en série, pas comme ça bien sûr, mais toutes sortes de ratages par moment, des cafouillages, des faux pas ou des faux mouvements avec à chaque fois votre signature particulière au fond. Mais un peu d'antidouleur, un nouveau mobile, la CB livrée à domicile, en urgence, et vous passez à autre chose.
C'es
Oxalique, Citrique, Chlorhydrique... il y a des moments où j'ai beaucoup de goût pour une chose en particulier. Oui, je me concentre soudain sur cette chose-là, dans ces différentes formes, et cela pendant plusieurs semaines. J'en fais un chantier. Là, par exemple, je vois bien que j'ai plein d'attirance pour toutes sortes d'acides.
Ce genre de tropisme – limite maniaque voire psychopathe –, peut faire flipper mon entourage.
On a tous quelque chose en nous de... pas forcément de Tennessee, mais de l'autre !
Oui, quand on accompagne, on croit percevoir des bribes de connu dans ce que l'autre nous donne à entendre ; les traces, ici et là, d'une histoire qui nous est familière, des questionnements déjà entrevus.
« Ce rêve en nous avec ses mots à lui »...
Et alors on s'attache à ça, en passant. Parce que ça crée des résonnances, comme des repères, ça semble tisser le lien. Et tout ça se trame plutôt à notre insu. En pleine inconscience.
Avis de grand frais sur Viking et Fisher... Dépression 1000 hectopascals se décalant vers la Norvège... Là, tout d'un coup, je me souviens d'une époque où j'aimais beaucoup écouter la météo marine.
C'était peut-être sur FIP, en voyage, en voiture, je ne sais plus. C'est embrouillé parce que je n'imagine pas trop les pêcheurs de langoustes écouter cette radio-là. Maddalena, Cantabrico, Iroise...
C'était écrit dans une langue étrangère, toujours mystérieuse. Cromarty, Forties, Tyne et Dogger... Des morceaux de mer, plus ou moins agitée, au large, des histoires de vent et de houle et, tout ça mis ensemble, ça faisait des poèmes. Un peu comme les messages codés sur les ondes de la BBC, juste avant le débarquement. Et pour désigner, l'air de rien, des cibles à détruire.
Ça avait commencé d'un coup j'ai l'impression. Juste avant l'été et ça a duré plusieurs semaines. Comme une lubie. Oui, j'ai eu soudain l'envie d'une grande besace Freitag. Ce genre de sac à bandoulière fabriqué avec de vieilles bâches de camion recyclées, découpées, plus ou moins colorées après toute une vie sur les routes au soleil ou sous la pluie. C'était pour emporter pas mal d'effets personnels quand je reçois à Paris : mon casque à vélo pliable, le roman du moment, une pince multifonction pour bricoler des trucs si nécessaire, mon réveil de voyage pour les séances, etc.
– Pas trop de mousse, s'il te plaît.
La femme venait de se lever et poser sa choppe sur le bar pour un autre demi visiblement.
Pourtant c'est un délice l'écume sur les lèvres, j'ai pensé.
– Je déteste ça, la mousse ! elle a ajouté tout en tripotant le petit carré buvardeux qu'on pose sous le verre. Pour la mousse justement.
J'avais fini mon café, j'allais partir, mais vu comment elle insistait, je me demandais de quoi il en retournait avec son histoire de mousse. Ça devait représenter quelque chose de bien particulier pour elle.
C'est fou. Je pensais à mon rêve du matin, tout en morceaux et encore incompréhensible – avec juste un hamster en plein soleil – et là, à l'angle de l'avenue de Suffren et de la rue qui mène au divan, un type venait de tailler à l'équerre visiblement tout le lierre bien accroché à la grille.
Enfin, ce n'était pas visible d'emblée, c'est d'abord l'odeur qui m'a accrochée. Oui, c'était soudain comme dans les boutiques Massimo Dutti.
À Paris ou à Madrid, c'est la même fragrance dès l'entrée. Terreuse et musquée, avec des notes d'agrume. Et à chaque fois, ça me rend un peu fou justement. Sans doute parce que c'est terreux et musqué.
En ce moment, avec les odeurs je fais des associations bizarres. Des sortes de lapsus olfactifs peut-être.