Quand elle est venue ici la première fois, elle disait que dans son école de coaching, il fallait qu'elle trouve quatre clients à coacher ; enfin, pas dans son école, mais dehors. Elle devait aussi trouver un superviseur et c'est pour ça qu'elle venait ici. (Je crois qu'elle devait en voir d'autres mais ça m'était égal à présent ces histoires de casting.)
– Combien vous allez les faire payer vos clients ?, je lui avais demandé tout à trac.
Ça m'avait échappé ça. Je crois que c'est parce qu'elle n'était pas habillée comme les coachs qui d'habitude vont à l'école des coachs : de satin ou de cuir, de couleurs ou de soie. Elle, elle était plutôt nature, je trouve.
– Heu !? Ils ne nous demandent pas ça à l'école, ils parlent pas de ça, elle avait dit.
J'avais trouvé ça bizarre pour une école de coachs (ce qui est bizarre aussi c'est que quand je veux écrire l'école des coachs, mon smartphone il veut écrire l'école des sorciers). Parce que même si c'était pas une école privée son école, mais une université, ils font quand même payer tout le monde.
Depuis cet été, pour venir à l'Atelier, le code d'entrée sur la rue est activé en journée. Alors moi, d'habitude, je préviens les clients avec un texto ; mais ce jour-là, ce coach-là je l'ai pas prévenu. (Je sais pas trop pourquoi j'ai fait ça ?).
– Mais alors comment t'as fait pour entrer ?, je lui demande, quand il frappe à la porte du bord de ciel. (Le "bord de ciel" c'était ma formule d'avant pour faire genre romantique, mais maintenant j'ai moins besoin de ça, je crois).
– Oh, pas de souci !, il dit. J'ai vu "SONNEZ et puis POUSSEZ", mais il y avait plus de sonnette, il continue.
– Oui, il y a un vigik à la place ! Mais alors comment t'as fait ? je lui demande.
C'est un appel d'offres pour du coaching, avec tous les ingrédients du coaching alors : objectifs, parcours intensifs, tests de personnalité, outillages et protocoles, etc. Et moi, je ne peux plus accompagner avec ces ingrédients-là, y compris dans cette entreprise où j'aime accompagner depuis longtemps déjà, dans les situations de crise et par-delà.
C'est le divan qui a cet effet-là sur moi. Et tout le travail de fond avec Eva et quelques autres coachs aussi, - de plus en plus nombreux -, qui aiment nous rejoindre pour accompagner plus au naturel.
Alors, j'ai pris le temps de lire et relire cet appel d'offres, en long en large. J'ai pris le temps de ruminer au jardin, et de m'interroger sur mes "résistances au changement" peut-être ? Ou bien sur un auto-sabotage, mine de rien ? Et sur le risque de tirer le diable par la queue à force d'aller encore hors des sentiers battus ? Et finalement j'ai aimé prendre le temps de non répondre.
Parce que j'aime croire qu'au fil du temps, il y aura de plus en plus de réponses comme ça. Beaucoup plus d'accompagnements au naturel.
– Je marche sur un chemin de crête derrière la maison de mon enfance. Je marche d'un bon pas parce que la nuit va bientôt tomber. Et soudain, juste devant moi, enfin à 100 mètres, je vois une énorme araignée. Elle est à 100 mètres. Je ne sais pas pourquoi j'insiste sur ça, là, en vous racontant ce rêve, je dis.
– Cent mètres, elle répète derrière moi.
Elle n'a jamais fait ça : me parler un instant au milieu d'un rêve, enfin du récit d'un rêve. Alors je me dis qu'il y a un autre sens peut-être derrière ces 100 mètres. Et comme ici c'est souvent sexe ou violence derrière les mots, j'essaie un instant avec ça. Et ça pourrait être "mettre du sang", parce qu'il y avait pas mal de sang ces derniers jours autour de moi mais, là, ce n'est qu'un jeu de mots et c'est pas dans le rêve.
Avec tout à la fois le désir d'indépendance des clients, la pression continue des acheteurs, "les barbares qui attaquent" et la révolution numérique (l'accès aux meilleurs en deux ou trois clics), les métiers du conseil et de la formation sont profondément chamboulés et bien tourneboulés.
Et c'est pour ça qu'avec Nathalie, Emmanuel et Vincent, – directeurs associés ou indépendants, en cabinets de conseil ou de formation, en management ou en organisation, – Eva & moi on aime bien, on aime beaucoup se retrouver régulièrement et en after work. Pour se confronter et innover dans les missions et au cœur du métier.
On chemine ensemble autour de cas complexes, un peu comme les médecins qui savent bien que le "médicament" c'est eux aussi au fond (groupes Balint). Eva aime apporter sa touche singulière sur l'Art du lien (en duo, en collectif…), et ça permet aussi de faire plein de cocktails Consulting & Coaching savoureux et naturels.
Pour poursuivre l'aventure, notre groupe accueille d'autres confrères et c'est pour ça alors qu'on aime créer en cette rentrée une soirée Portes ouvertes : chacun de nous invite des praticiens avec qui nous nous sentons a priori en affinités.
"Ils ont posé une grosse plaque d'acier sur le distributeur de billets alors je ne pourrai pas encore vous régler aujourd'hui."
La semaine dernière, elle avait préféré arriver en retard pour retirer de l'argent parce que la fois d'avant c'était le contraire, elle était pile poil à l'heure mais sans l'argent parce que c'était beaucoup trop juste. Alors à la fin de cette séance-là elle m'avait demandé : "Je peux aller retirer du liquide et remonter si vous voulez ?" (Tiens, j'avais jamais pensé à ça.)
Sa psy d'avant était conventionnée, alors j'imagine que sortir de l'argent c'était pas une question.
Un site web bien sous tous rapports, un blog sans un poil qui dépasse, un profil LinkedIn nickel… auto-censure ou dévoilement, cloisonnement ou strip-tease, notre manière de nous la raconter sur le web et sur la terre est truffée de défenses massives ou subtiles.
Et détricoter tout ça est vraiment propice au meilleur. Car elles viennent de loin ces défenses-là au fond. Ça vient de ces premiers instants où se mêlaient tout à la fois notre désir de voir et d'être vu. Et ça s'emmêle avec l'inverse aussi : la peur de nous exposer ou bien de voir le plus intime, avec aussi l'excitation de transgresser au fond…
Questions de regards et ambivalence alors.
L'autre jour, j'avais creusé sous le soleil, profondément, pour planter deux poteaux de bois et, à présent, pour continuer, j'avais besoin d'un niveau à bulle.
Mais je l'ai laissé dans la cave de ma vie d'avant mon niveau à bulle.
(C'est peut-être pour ça que tu prends des photos de travers ?! me dit un ami, pour me taquiner. Mais c'est pas pour ça, c'est parce que je trouve qu'on m'a regardé de travers quand j'étais petit ; enfin, j'arrivais pas à savoir ce qu'il y avait vraiment dans le regard des grands autour de moi).
Le niveau à bulle, là, c'était pour fignoler une nouvelle création au jardin, enfin pour une construction de bois entre le jardin et la rue.
« Par les temps qui courent chacun de nous a beau jeu de s’insurger contre la sauvagerie et la violence des hommes au-dehors et à l'entour. Mais la violence et la barbarie sont en chacun de nous aussi. […] Libres associations sans censure ni morale, voyages en enfance et reviviscences alors, sur divan ou canapé, pour prendre soin de détricoter ce qui nous torture et nous enferme au fond, ce qui se répète à notre insu et qui vient de loin parfois. »
C'est ainsi que j'aimais évoquer l'histoire d'un accompagnement dans une banque et sous le signe du "harcèlement inversé" : Humaine nature.
Ces violences, à l'endroit ou à l'envers, et bien d'autres encore étaient devenues ma spécialité dans cette banque-là ; alors quand la DRH m'a sollicité pour un "nouveau cas", épineux et bien entremêlé avec un autre, j'ai aimé passer le relais à Eva.
Eva qui, pour accompagner ne s'embarrasse pas de tous les détours du coaching (ses rites et ses raccourcis, ses facilités et ses vérités) et qui aime prendre le temps, là sur son blog, de faire le récit tout à la fois de ce passage entre nous ("transfert du transfert", toujours si sensible) et de ce "cas"-là.
Récit intime et subjectif « … parce qu'il n’y a que par le récit que nous pouvons rendre compte, nous approcher, du vivant de nos séances. Tout sauf un acte clinique au sens d’un savoir doctoral. Clinique au sens du au chevet de celui, singulier, qui nous confie, vulnérable, tout ce qu’il contient à peine. Et dont nous ne saurons rien. Simples passeurs. » écrit-elle.
Je n'avais jamais écrit comme ça. Enfin, je veux dire, sur le fil des associations libres. Vraiment.
Ça, je le réservais au divan. Alors quand cette histoire-là était finie (même si c'est jamais vraiment fini, au fond), je me suis dit si j'en fais une note de blog, ça va encore faire déguerpir plein d'abonnés. (Surtout que, maintenant, il y a des DRH qui s'abonnent à ma newsletter.)
Fais une intro pour faire passer la pilule, je me suis dit. Sur l'obsolescence programmée ou le transhumanisme par exemple, sur les applis mobile ou les jeux de transfert, sur le trauma ou le besoin de magie, comme dans l'enfance…
Mais là c'est l'été et j'ai pas réussi.
*
Ce mot frérocité c'est à la radio que je l'ai entendu la première fois. J'étais sur une petite route de campagne, dans ma vieille voiture, – Il faut que je retienne ce mot-là, je me suis dit – je n'avais rien pour écrire mais j'avais noté que c'était la combinaison de deux mots ; une combinaison inventée par Lacan.
Plus tard, j'ai voulu retrouver ce mot qui m'avait tant accroché ; j'ai recherché l'émission, j'ai googlisé, j'ai essayé plein de combinaisons, comme sur un cadenas à combinaison. En vain. Alors j'ai fini par oublier ce que j'avais oublié.
Frère, férocité ! Je ne sais pas comment ni pourquoi, un jour, les deux mots me sont revenus. Et la combinaison avec.
Enfin, si, je crois savoir pourquoi c'est revenu soudain. Depuis quelques temps, sur le divan et dans mes rêves, je découvrais une grosse part de ce que j'avais enfoui jusqu'alors : ma rivalité avec mes frères, la jalousie infantile et cachée.
On était une famille nombreuse (cinq enfants et moi au beau milieu de tout ça) ; ma mère était nourrice agréée et pour moi ça a corsé l'affaire au fond. Et c'est pour ça que la découverte de cette part-là en moi agitait plein de défenses : dénégation, parties de catch avec ma psy, verrouillage de ma mémoire… Mais l'inconscient était lâché ; irrépressiblement !
Ainsi, en même temps, une nouvelle création personnelle me procurait un plaisir jubilatoire, infantile et irrépressible aussi : Le GorafiCoach, ces micro-fictions où j'épingle les us et coutumes du peuple coach, de mes confrères qui tiennent à distance la psychanalyse. Comme si la rivalité était créatrice pour moi.
Et puis, il y a aussi la supervision de ceux que j'accompagne : elle fait resurgir en moi des élans complices ou bagarreurs souvent.
Alors j'ai voulu en savoir plus. Et de fil en aiguille, j'ai trouvé un livre de J.-B. PONTALIS : "Frère du précédent".
– Et vous vous êtes réveillé alors ? elle me demande.
– Oui, je vous l'ai dit, je lui dis.
– Alors c'est un cauchemar ! elle ajoute.
Ah, d'accord ! je me dis ; et c'est aussi la réponse à une question de la séance d'avant, quand j'évoquais le rêve de Chloé – cette jeune femme que j'accompagne et qui tue sa mère et ses sœurs et puis après se fait tabasser par sa boss en Twingo – pour lui demander si c'était vraiment un cauchemar ça ? Car comédie romantique ou film d'horreur, si le rêve c'est toutes nos pulsions refoulées, qu'est-ce qui fait la différence au fond ? Mais ma psy ne m'avait pas répondu.
Et moi, là, le rêve que je viens de lui raconter, c'est une histoire de meurtre aussi. Des meurtres en série et au couteau. Et puis un suicide après. Ça commence avec un homme qui égorge des curés. Et ça se passe dans le désert. Je sais que ce sont des curés parce qu'ils sont en soutane. Mais l'égorgeur est de la même race que les curés et c'est bizarre, je trouve, qu'il les tue, un par un.
Moi, je suis le dernier du groupe à devoir y passer mais je sens bien au fond que l'homme ne pourra pas m'avoir. Parce que je sais que je peux marchander, négocier avec lui. Alors je commence à lui parler, à parlementer. Et ça marche bien sûr. Alors, lui et moi on se retrouve dans un grand bâtiment administratif, genre mairie. Il se laisse faire et je réussi à le pousser au suicide ! Il se jette du haut d'un grand escalier de marbre. Mais la première volée de marches ne suffit pas, alors je lui dis de recommencer et il tombe encore et il s'écrase enfin tout en bas de l'escalier. Mais, à ce moment-là, un autre homme mystérieux surgit et me demande pourquoi je fais ça ? Hein, pourquoi ?!
Et c'est là que je me suis réveillé.
C'était un soir de mai, Eva & moi avons eu l'envie d'inviter ceux et celles qui, au plus près, au long cours, nous fréquentent et puis celles et ceux qui cherchent bien autre chose que tout le surgelé ou les conserves en coaching.
Rencontres en libres associations alors, les portes de l'Atelier étaient grandes ouvertes ce soir-là pour découvrir, au contact et du dedans, l'accompagnement au naturel et en duo féminin-masculin.
Au naturel toujours, parce qu'avec 3,8 milliards d'années de R&D à son actif, la nature a forcément des choses à nous apprendre.
Et en duo féminin-masculin parce que, quoiqu'on dise, c'est bien ça l'origine du monde.
On a aussi aimé inviter Alexandra Ha Duong, une gentille barbare rencontrée un soir de printemps et qui, caméra au poing, a pris soin d'attraper des mots et des images, et puis tisser un fil de ce moment-là.
Merci à Loïc Deconche, Lionel Ancelet et Karim Meslem pour les mots et les échos à cette forme-là d'accompagnement.